TRIBUNE SUR LE SOMMET DE L’AVENIR : Les dirigeants mondiaux doivent relancer la coopération internationale pour aujourd'hui et demain
06 septembre 2024
Par le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres
Les négociations à New York sont dans la dernière ligne droite, avant la tenue ce mois-ci du Sommet de l’avenir, au cours duquel les chefs d’État conviendront des réformes à mener en ce qui concerne les piliers de la coopération mondiale.
Si l’Organisation des Nations Unies a convoqué ce Sommet unique en son genre, c’est parce qu’il faut voir la réalité en face : les problèmes mondiaux évoluent plus vite que les institutions conçues pour trouver des solutions.
Il n’y a qu’à regarder autour de nous. Les conflits féroces et la violence infligent de terribles souffrances ; les divisions géopolitiques se multiplient ; les inégalités et l’injustice sont partout, minant la confiance, aggravant les griefs et alimentant le populisme et l’extrémisme. Les défis séculaires que sont la pauvreté, la faim, les discriminations, la misogynie et le racisme prennent de nouvelles formes.
Dans le même temps, nous sommes aussi confrontés à de nouvelles menaces existentielles, qu’il s’agisse de l’emballement du chaos climatique et de la dégradation de l’environnement ou des technologies telles que l’Intelligence artificielle, qui se développent dans un vide éthique et juridique.
Le Sommet de l’avenir reconnaît que les solutions à tous ces défis sont entre nos mains. Mais nous avons besoin d'une mise à jour des systèmes que seuls les leaders mondiaux peuvent apporter.
Le processus décisionnel international est figé dans le temps. De nombreuses institutions et outils mondiaux sont le produit des années 1940 – avant la mondialisation, avant la décolonisation, avant que les droits humains universels et le principe de l’égalité des genres aient été consacrés, avant le premier vol humain dans l’espace – sans parler du cyberespace.
Les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale conservent leur prééminence au sein du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, alors que l’ensemble du continent africain ne dispose même pas d’un siège permanent. L’architecture financière mondiale pèse lourdement sur les pays en développement et ne leur offre aucun filet de sécurité lorsqu’ils rencontrent des difficultés, les laissant crouler sous les dettes, qu’ils sont contraints de rembourser au lieu de pouvoir investir pour leur population.
En outre, les institutions mondiales n’offrent que peu de place à de nombreux acteurs majeurs du monde actuel, qu’il s’agisse de la société civile ou du secteur privé. Les jeunes, qui hériteront de l'avenir, sont presque invisibles, tandis que les intérêts des générations futures ne sont pas représentés.
Le message est clair : il est impossible de bâtir un avenir digne de nos petits-enfants dans le carcan d’un système construit pour nos grands-parents. Le Sommet de l’avenir sera l’occasion de relancer la collaboration multilatérale pour l’adapter au XXIe siècle.
Entre autres solutions, nous avons proposé un Nouvel Agenda pour la paix, axé sur la modernisation des institutions internationales et des outils de prévention et de règlement des conflits, y compris le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Nouvel Agenda pour la paix appelle à redoubler d’efforts pour débarrasser notre monde des armes nucléaires et autres armes de destruction massive, et à l’élargissement de la définition du concept de sécurité pour englober les violences de genre et la violence des gangs. Il tient aussi compte des menaces qui pèseront sur la sécurité à l’avenir, compte tenu de l’évolution des conflits et des risques que pourrait poser la militarisation des nouvelles technologies. Nous devons par exemple conclure un accord mondial pour interdire les armes autonomes létales, qui peuvent décider de la vie ou de la mort d’autrui sans intervention humaine.
Les institutions financières mondiales doivent refléter le monde d’aujourd’hui et être dotées des moyens nécessaires pour mieux répondre aux défis contemporains : dette, développement durable, action climatique. Il faut donc prendre des mesures concrètes pour lutter contre le surendettement, accroître les capacités de prêt des banques multilatérales de développement et modifier leur modèle économique afin que les pays en développement aient un accès beaucoup plus large aux financements privés à des taux abordables.
Sans ces financements, les pays en développement ne seront pas en mesure de répondre à la plus grande des menaces : la crise climatique. Ils ont besoin de ressources de toute urgence pour passer des combustibles fossiles, qui détruisent la planète, à des énergies propres et renouvelables.
Et comme les leaders mondiaux l’ont souligné l’année dernière, la réforme de l’architecture financière mondiale est également essentielle afin d’accélérer les progrès vers les Objectifs de développement durable dont notre monde a désespérément besoin.
Le Sommet se penchera également sur les nouvelles technologies ayant un impact mondial, en cherchant des moyens de réduire la fracture numérique et d’établir des principes communs pour un avenir numérique ouvert, libre et sûr pour tout le monde.
Les droits humains et l’égalité des genres représentent le fil conducteur de toutes ces propositions. Le processus décisionnel mondial ne peut être réformé que dans le respect de l’ensemble des droits humains et de la diversité culturelle, en garantissant la pleine participation et le leadership des femmes et des filles. Nous demandons de nouveaux efforts pour supprimer les barrières historiques – juridiques, sociales et économiques – qui excluent les femmes du pouvoir.
Les artisans de la paix des années 1940 ont créé des institutions qui ont permis d’empêcher l’éclatement d’une troisième guerre mondiale et ont accompagné de nombreux pays de la colonisation à l’indépendance. Mais ils ne reconnaîtraient pas le paysage mondial d’aujourd’hui.
Le Sommet de l’avenir est l’occasion de mettre en place des institutions et des outils de coopération mondiale plus efficaces et plus inclusifs, qui soient adaptés au XXIe siècle et à notre monde multipolaire.
J’invite les dirigeants à saisir cette chance.
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António Guterres
Avant sa nomination, M. Guterres a été Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de juin 2005 à décembre 2015. Son mandat à la tête de l’un des principaux organismes humanitaires du monde a été marqué par les vagues de déplacement sans précédent de ces dernières décennies. Les conflits en Syrie et en Iraq et les crises qui secouent le Soudan du Sud, la République centrafricaine et le Yémen ont obligé le HCR à multiplier ses activités alors que le nombre de déplacés ayant fui les conflits ou les persécutions passait de 38 millions en 2005 à plus de 60 millions en 2015.
Avant de travailler au HCR, M. Guterres a passé plus d’une vingtaine d’années au service de l’État et dans la fonction publique. Il a été Premier Ministre du Portugal de 1995 à 2002, période au cours de laquelle il a joué un rôle de premier plan dans l’action internationale engagée pour mettre fin à la crise du Timor Leste.
Au début de l’année 2000, en sa qualité de Président du Conseil européen, il a dirigé la procédure d’adoption de la Stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi et coprésidé le premier sommet Union européenne-Afrique. De 1991 à 2002, il a été membre du Conseil d’État portugais.
En 1976, M. Guterres a été élu au Parlement portugais, où il a siégé pendant 17 ans. Au cours de cette période, il a présidé la Commission parlementaire de l’économie, des finances et de la planification, puis la Commission parlementaire de l’administration territoriale, des municipalités et de l’environnement. Il a également été chef du groupe parlementaire de son parti.
De 1981 à 1983, M. Guterres a été membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, où il a présidé la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie.
Pendant de nombreuses années, M. Guterres a été un membre actif de l’Internationale socialiste, une alliance mondiale de partis politiques sociodémocrates. Il en a été le vice-président de 1992 à 1999, période à laquelle il a coprésidé le Comité Afrique et, plus tard, le Comité Développement. De 1999 à mi-2005, il a présidé l’Internationale socialiste. Il a en outre fondé le Conseil portugais pour les réfugiés et l’Association de défense des consommateurs portugais DECO et présidé, au début des années 70, le Centro de Acção Social Universitário, une association mettant en place des projets de développement social dans les quartiers pauvres de Lisbonne.
M. Guterres est membre du Club de Madrid, une alliance démocratique réunissant d’anciens chefs d’État et de gouvernement du monde entier.
M. Guterres est né à Lisbonne en 1949. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur de l’Instituto Superior Técnico. Il parle couramment le portugais, l’anglais, le français et l’espagnol. Il est marié à Catarina de Almeida Vaz Pinto et a deux enfants, un beau-fils et trois petits-enfants.