Restaurer la Kibira, une dette à rembourser à l’environnement
La Kibira, deuxième grande réserve naturelle du Burundi, a servi de refuge aux populations environnantes quand le pays tomba dans une crise sécuritaire en 1993.
Les personnes qui s’y sont retirées ont survécu grâce à sa flore, contractant ainsi une dette d’autoprotection entre cette forêt et sa population riveraine. C’est particulièrement la population de Bugarama qui s’active aujourd’hui pour rembourser cette reconnaissance. Constituée en coopérative Dukingirikibira (Protégeons la Kibira), elle s’occupe de sa restauration avec des essences autochtones pour réparer, dit-on le tort, qui lui a été infligé lors de son occupation.
Au début, ils étaient nombreux, quelques centaines dont 33 hommes. Sortis de la forêt pour reprendre la vie normale, en adhérant à cette association de protection de l’environnement, certains espéraient recevoir des appuis humanitaires. A cette période, ils ont commencé par planter des eucalyptus sur les extrémités de la forêt qui avaient subi des défrichements pour sauvegarder ses frontières et faire barrière à ses destructeurs qui voulaient profiter de la crise pour se créer des espaces de culture à ses abords comme à son intérieur. Aujourd’hui les coopérateurs sont au nombre de 132 dont 13 hommes.
Les femmes ont décidé d’être plus amies de la Kibira et surtout de rompre avec la croyance répandue qu’elles sont destructrices de l’environnement notamment à la recherche du bois de cuisson. C’est ainsi qu’elles ont pensé à repeupler la forêt avec des essences autochtones pour lui remettre son authenticité en pensant aussi aux animaux sauvages qui ont été délogés de leur habitation avec l’avancée des gens qui s’y sont réfugiés.
Persuadés par l’engagement de ces femmes qui se consacrent désormais à la sauvegarde de la nature, le PNUD via le FEM (fonds pour l’environnement mondial) s’est allié à l’AFEB (Association femme et environnement au Burundi) pour appuyer leurs initiatives. Un appui qui a donné davantage le goût à ces femmes d’engager une vitesse supérieure dans leur combat.
La présidence de la coopérative a été confiée à une militante de l’environnement, Mme Marie Nduwimana, 62 ans, qui compte parmi celles/ceux qui ont fait jaillir l’idée de poser cet acte de reconnaissance vis-à-vis de la Kibira en guise de reconnaissance des bienfaits qu’elle leur a offerts. « Nous avons survécu grâce à la forêt, son feuillage nous a servi d’abri et ses arbres et fruits de nourriture et de pharmacie, nous lui devons beaucoup. C’est pourquoi nous faisons autant que possible pour restaurer les espaces vides à l’intérieur de la forêt, des plantes qui ont des vertus médicinales, nous en avons replantés plus de huit espèces dont Umuremera (Prunus Africana) qui soignerait plus de 42 maladies, selon les spécialistes », témoigne Marie. Et d’ajouter, « La forêt est l’étable des animaux sauvages, nous avons mangé leur nourriture, ils ont même fui devant notre arrivée, notre action vise aussi à restaurer leur réserve alimentaire et ainsi assurer leur retour chez eux en toute quiétude. Un retour qui va attirer les touristes et procurer des revenus au pays ».
En plus de cette restauration, la coopérative a imposé une farouche opposition aux gens qui voulaient empiéter sur l’espace de la Kibira pour étendre leurs cultures. « Nous avons aussi pris l’initiative d’empêcher son morcellement, car nous avions appris que la Kibira est source de vie pour l’humanité. Un combat qui fut rude parce que chaque personne qui perdait l’occasion d’exploiter la Kibira nous haïssaient mais nous avons persévéré. Soutenus par l’administration et l’autorité en charge de l’environnement, nous avons intégré le comité de gestion et de surveillance de la Kibira. Nous avons fait des patrouilles pour chasser les récalcitrants et avons mené une campagne en continu à toutes les réunions et occasions de rassemblement. A l’approche de la saison sèche, nous traçons les coupe-feux pour barrer les feux de brousse et comme ça nous sommes parvenus à nous imposer », dit Marie.
Marie est contente qu’aujourd’hui les jeunes de Bugarama s’associent à leurs parents dans ce noble travail et surtout qu’en cas de décès pour cause d’âge (vieillesse) ou autre, les familles remplacent les décès par des jeunes pour perpétuer leur engagement de sauvegarder l’environnement. Une deuxième fierté de sa part est de voir l’éducation environnementale pour laquelle elle s’est battue introduite dans les curricula de l’enseignement au Burundi.
C’est avec dignité que Marie fait le bilan actuel de la coopérative. Chaque année nous plantons 500 à 600 mille plants autochtones nous en distribuons aussi au sein de la population pour les empêcher d’aller couper le bois de la forêt. Nous avons constitué 5 groupes d’épargne-crédit ce qui permet de nous soutenir mutuellement en cas de nécessité pour faire face aux cas de maladie, de paiement de frais scolaires pour nos enfants, bref, de couvrir les besoins familiaux, y compris l’habillement et la nourriture surtout en période de soudure. Elle trouve que la femme est honorée par le travail de la coopérative car elle amène des revenus à la famille et son estime est augmenté ce qui consolide l’entente et la paix familiale. Les sources de revenus ont aussi été diversifiées : fabrication de pots en écorce de bananier pour les pépinières, production de plants fruitiers, exploitation de moulins, élevage de porcs avec distribution de porcins aux membres, élevage de lapins, vannerie et culture de champignon.
Sophie Ngendakumana, membre depuis 2000, souligne que beaucoup de maris incitent les femmes à participer aux activités de la coopérative à commencer par elle-même. « Mon mari m’a encouragée. Il m’a dit, que ce que tu attends, si une fois un enfant tombe malade qui va t’aider, si tu es seule, ça n’aide pas. Il me demande d’y rester car il voit que j’apporte quelque chose profitable à la famille qui manquait avant ».
Au vu du succès de la coopérative, de nombreux anciens membres qui l’ont quitté demandent de la réintégrer. « Aujourd’hui, nous sommes en train de nous organiser pour voir si nous ne pouvons pas ouvrir Dukingirikibira 2 », souligne Marie dont le souhait le plus ardent et qu’elle reste à la défense de la Kibira jusqu’à sa mort. Elle invite vieux, jeunes, administratifs, au Burundi comme à travers le monde, à se liguer et à s’impliquer dans la protection de l’environnement. « Protégeons surtout la Kibira qui est source de vie et de beaucoup de bienfaits à commencer par l’eau. Sans la Kibira pas de pluies, pas d’eau à boire », conclut Marie.
Didace Mukeshimana, membre de la coopérative depuis une vingtaine d’années, remercie les gens qui l’ont amené à adhérer à la coopérative. « J’ai beaucoup gagné. On nous apprend comment tracer les courbes de niveau, à planter les herbes fixatrices servant à l’alimentation du bétail et à cultiver les semences sélectionnées pour protéger notre sol et augmenter la production agricole. Deuxièmement, on nous apprend que planter l’arbre lutte contre la désertification, procure la pluie et le bon air à respirer pour avoir une bonne santé. C’est pourquoi je me suis investi pleinement pour combattre les riverains de la Kibira qui y cultivent les fleurs, les choux, l’éleusine et carbonisaient le bois », indique Didace.
Il rajoute que la femme occupe une grande place dans la protection de la Kibira, car elle participe dans le traçage de coupe-feux et dans des visites inopinées organisées au moins deux fois par mois pour chasser les gens qui tendent des pièges aux animaux. Les garde-forestiers sont aussi soulagés parce qu’ils n’arrivent pas à couvrir toute l’étendue de la forêt pour chasser ses destructeurs.
Renilde Masunzu, responsable de l’AFEB, souligne que son association met en avant la femme et l’arbre parce que c’est la femme qui cherche du bois de chauffe. Aussi, on sait qu’en les accompagnant avec des activités génératrices de revenus, les femmes peuvent pérenniser les activités et continuer à planter un arbre quand elles en coupent un autre, précise Renilde.
Libère Ntiranyibagir, adjoint du chef de colline de Kavya à Bugarama, loue leur rôle dans la protection de la Kibira. « En plus de de la multiplication des essences autochtones, elles nous aident beaucoup, nous les administratifs, pour combattre les gens qui détruisent la Kibira. Elles sont notre œil quand nous sommes pris par d’autres obligations. Quand les femmes mettent ensemble leur force, elles sont la source du développement et peuvent aussi lutter facilement contre les violences faites aux femmes. En plus, en travaillant, elles ramènent des richesses à la maison ce qui stabilisent les familles et nous facilitent le travail parce que l’entente familiale est consolidée et peu de mésententes sont enregistrées ».
Afin de favoriser le retour des animaux, notons que Dukingirikibira reboise la forêt avec des plants fruitiers telles que les prunes du Japon, la goyave, le maracuja et l’avocatier qui servent de nourriture aux animaux. Les plants des mêmes fruits et légumes sont distribués aux membres et à la population environnante pour améliorer l’alimentation et lutter contre la malnutrition. Aujourd’hui, elle contribue particulièrement dans la production de plants d’avocatier, un fruit en déperdition dans la commune de Muramvya, dont la zone Bugarama fait partie.